Avec cette série de blogues sur le harcèlement dans le sport en quatre parties, nous avons l’intention d’examiner le passé, d’évaluer le chemin parcouru et de tracer une voie à suivre qui aborde le harcèlement, tant sur l’aire de jeu qu’à l’extérieur. Les événement importants qui sont survenus dernièrement dans la société canadienne – allant du comportement déplacé de membres du Parlement aux affirmations scandaleuses à l’égard de Jian Ghomeshi de la CBC, en passant par Marcel Aubut et le Comité olympique canadien (COC) – nous ont montré que le harcèlement n’est pas un problème qui se limite à l’aire de jeu : il est également présent dans nos bureaux et nos salles de conférence.
Au cours des deux dernières décennies, le milieu sportif canadien a dû se débattre avec le problème du harcèlement dans le sport et nous nous rendons compte, tandis que nous prenons du recul aujourd’hui et que nous évaluons notre parcours, que nous avons encore beaucoup de chemin à faire. Qu’avons-nous fait dans le milieu sportif dans le passé? Que faisons-nous maintenant? Que devrions-nous faire à l’avenir?
Le Centre canadien pour l’éthique dans le sport (CCES), l’Association canadienne pour l’avancement des femmes, du sport et de l’activité physique (ACAFS), l’Association canadienne des entraîneurs (ACE) et le Sport Law & Strategy Group (SLSG) se sont associés afin de trouver des réponses à ces trois questions dans le cadre d’une série de blogues en quatre parties qui seront publiées par les quatre partenaires au cours des prochains mois. Nous vous invitons à nous faire part de vos commentaires (par courriel à [email protected]). Nous publierons les commentaires clés, les points à débattre pour les discussions à venir ainsi que les points susceptibles de faire l’objet de mesures de suivi dans le quatrième et dernier billet de blogue, qui prendra la forme d’un « appel à l’action ».
Deuxième blogue : État de la situation actuelle
Notre premier blogue a jeté un coup d’œil sur ce qui a été fait dans le sport canadien dans le passé afin de réduire les cas de harcèlement, d’abus, de violence et d’intimidation. Ces situations ont commencé à retenir l’attention lors de la publication de l’histoire très médiatisée de Sheldon Kennedy en 1997 et la création du « Regroupement des organismes contre le harcèlement et les abus dans le sport », un collectif d’associations sportives déterminées à réduire le harcèlement dans le sport. Le site Web harrassmentinsport a été créé et plusieurs excellentes ressources ont été publiées. Le Secrétariat Sport pur a été créé en 2002 et a publié peu après un document fondamental (malheureusement ignoré) intitulé Harassment & Abuse in Sport: Situation Analysis & Needs Assessment. Les organismes de sport ont adopté certaines recommandations contenues dans le rapport (notamment la mise en place de politiques sur le harcèlement et d’agents de harcèlement indépendants), que Sport Canada a aussi rendu obligatoires, tandis que d’autres recommandations, telles qu’une stratégie nationale pour la réduction du harcèlement, ont été mises de côté.
Les approches adoptées pour lutter contre le harcèlement dans le sport ont continué à évoluer. Nous savons maintenant qu’un code de conduite assorti de sanctions disciplinaires convient davantage qu’une politique indépendante sur le harcèlement. Nous avons une vision large du sport qui comprend le traitement éthique des participants. Le mouvement pancanadien Sport pur encourage les communautés, les ligues, les municipalités, les clubs de sport et les citoyens à militer pour un sport juste et éthique. Certains indices révèlent toutefois que nous avons concentré la majorité de nos efforts au terrain de jeu au lieu de créer un environnement de travail sécuritaire et accueillant dans le sport. Nous devons redoubler d’efforts afin de coordonner les appuis et élever la norme minimale acceptable pour que le sport offre un environnement sécuritaire pour tous.
Que faisons-nous à l’heure actuelle? Ce billet de blogue porte sur les efforts actuels pour lutter contre le harcèlement dans le sport, c’est-à-dire les politiques intégrées, la formation supplémentaire à l’intention des dirigeants du sport, le mouvement Sport pur et ses principes, auxquels adhèrent plus de 3 000 communautés, le Programme national de certification des entraîneurs (PNCE) et la récente Politique canadienne du sport 2012 qui fixe la direction que prendra le sport canadien dans les années à venir. L’examen des efforts actuels doit également comprendre une analyse de nos échecs du passé afin que les enseignements tirés de ces échecs puissent servir à améliorer et à informer la démarche actuelle.
Affaiblissement du rythme coordonné
La création du Regroupement des organismes contre le harcèlement et les abus dans le sport et ses activités bénéfiques, dont il a été question dans le premier blogue, remontent à la fin des années 1990. Le site Web harassmentinsport, qui fournissait des modèles de politiques et des renseignements utiles, et qui dressait un inventaire de toutes les ressources sur le harcèlement, a été un des outils les plus utiles du collectif. En 2001, le Regroupement et le site Web n’existaient plus. Karin Lofstrom, directrice administrative de l’ACAFS, a participé aux activités du Regroupement. Elle nous explique ce qui s’est passé :
« Je crois que ce fut une question de financement. Denis Coderre (secrétaire d’État au sport amateur) et Sheila Copps (ministre du Patrimoine canadien) ont participé au lancement et ont contribué à en assurer le financement. Le soutien financier a pris fin lorsque Denis Coderre a quitté son poste. Le Regroupement venait à peine de commencer son travail sur le harcèlement et le sujet retenait encore l’attention, mais je ne peux pas dire que nous étions en train de gagner le combat. »
L’absence de soutien financier à un effort coopératif pour prévenir le harcèlement a finalement abouti à une approche divisée où les associations ont mis l’accent sur leurs forces. Les organismes nationaux de sport (ONS) ont commencé à travailler sans relâche à l’élaboration de politiques, dont des politiques sur le harcèlement et les abus. Le CCES a entrepris divers projets avec le Sport Law & Strategy Group afin de développer une littéracie éthique et les capacités des organismes de sport, notamment un programme de gestion des risques et des ateliers de gestion en fonction des valeurs à l’intention des ONS et des OM, et, bien qu’ils ne traitaient pas directement de harcèlement, ils proposaient des mécanismes et des outils pour repérer et gérer les risques que comporte la gestion des opérations et des programmes et renforcer la résistance en milieu de travail. L’ACAFS a produit des guides et des outils d’évaluation sur l’égalité des sexes et l’homophobie dans le sport, dont le récent Montrer le chemin : Travailler avec des athlètes et des entraîneurs LGBT.
Créés à la pièce, les nombreux efforts entrepris à l’échelle du sport canadien sont en voie de définir une norme nationale pour le traitement du harcèlement. Aucun de ces efforts n’a retenu autant d’attention que le module de formation et l’outil d’évaluation en ligne Prise de décisions éthiques de l’ACE, un volet obligatoire du PNCE.
Prise de décisions éthiques
Le PNCE, lancé en 1974, a subi une importante refonte depuis 2001. Il est passé d’un programme à niveaux à une formation plus conforme aux stades du modèle de Développement à long terme de l’athlète (DLTA). Le PNCE oblige les plus de 800 000 entraîneurs et entraîneures certifiés à actualiser leur formation en suivant le module Prise de décisions éthiques, et tous les nouveaux entraîneurs et entraîneures qui entrent dans le système doivent suivre cette formation de base dans le cadre de leur programme de formation. Lorraine Lafrenière, chef de la direction de l’ACE, décrit la raison d’être du module Prise de décisions éthiques :
« Les pratiques d’entraînement éthiques sont la pierre d’assise du PNCE et du sport canadien. Le module Prise de décisions éthiques forme les entraîneurs et entraîneures à appliquer un processus décisionnel qui les incitera à prendre la bonne décision dans des situations éthiques, telles que le harcèlement, mais aussi en ce qui concerne les conflits d’intérêt, la sécurité des athlètes, le retour au jeu, la sélection des athlètes, les abus et autres. L’évaluation en ligne correspondante donne aux entraîneurs et entraîneures la possibilité de mettre le modèle en pratique et de manifester leur compétence dans divers scénarios. »
L’ACE pilote aussi un programme de vérification des antécédents des entraîneurs et entraîneures. Un accord de partenariat conclu avec un tiers permet d’offrir une vérification d’antécédents dont peuvent profiter tous les organismes participants, à un prix fixe (25 $ plus taxes).
La vérification du casier judiciaire n’est qu’une étape du processus de vérification complet auquel les organismes ont recours pour vérifier les antécédents de leurs bénévoles. Plusieurs organismes de sport se sont fondés sur Les 10 étapes du filtrage de Bénévoles Canada afin de définir l’orientation de leurs politiques de vérification. Les organismes reconnaissent habituellement que les bénévoles doivent être interviewés en personne, qu’ils doivent remettre une demande comprenant des références et recevoir une orientation et une formation suivies de soutien et de supervision une fois en poste. Les bénévoles (ainsi que les participants et autres membres) dont les antécédents ont été vérifiés sont ensuite assujettis aux politiques de l’organisme de sport.
Élaboration de politiques
Chaque organisme de sport est en fait son propre tribunal, c’est-à-dire qu’il a le pouvoir d’établir ses propres règles d’appartenance et de participation, et de sanctionner les membres et les participants qui ne respectent pas leurs obligations. Par conséquent, chaque organisme utilise ses propres méthodes (fondées sur les pratiques antérieures, le contexte et ses capacités, les normes nationales ou propres au sport ou autres critères) pour déterminer la meilleure façon de traiter le harcèlement au sein de cet organisme.
Cette liberté a entraîné le développement de milliers de codes de conduite similaires et de milliers de procédures et directives similaires pour traiter les cas de harcèlement dans le sport canadien. Par exemple, une association de hockey de l’Alberta pourrait adopter une politique de harcèlement à « tolérance zéro » alors qu’une association de football du Nouveau-Brunswick pourrait avoir une toute autre interprétation de la manière de décrire ce qui constitue du harcèlement. Les organismes nationaux et provinciaux de sport (et Sport Canada en tant que bailleur de fonds) peuvent même avoir leurs propres remèdes adaptés à des niveaux différents.
Le CCES s’est associé à Entraîneurs du Canada (aujourd’hui le Service des entraîneurs professionnels de l’ACE) à la demande de Sport Canada, afin de diriger un groupe d’organismes de sport dans la publication de deux documents : le Code des comportements interdits dans le sport (qui décrit les comportements attendus de la part des bénévoles et les procédures de traitement des cas d’inconduite) et la Politique canadienne sur les comportements interdits dans le sport. Cette démarche avait pour but d’inciter les organismes de sport à adapter ces deux documents et ainsi contribuer à l’établissement d’une norme nationale de base. Malheureusement, ce projet a suscité peu d’intérêt. Paul Melia, président et directeur général du CCES, explique pourquoi :
« On voulait que les organismes de sport de tous les niveaux intègrent la politique à leurs règlements, et adoptent et appliquent le Code. Nous avons appris au fil du temps que l’administration de la politique et du code dépassaient les capacités des organismes de sport, tout comme le processus d’accueil des plaintes, de tenue des audiences et d’application des sanctions. »
Les organismes commencent à s’apercevoir que leurs politiques ne suffisent pas. La Politique canadienne du sport 2012met fortement l’accent sur le comportement éthique en tant que référence de politique pour toutes les activités sportives, mais il ne fait aucun doute qu’il est possible d’en faire davantage. Le module Prise de décisions éthiques de l’ACE destiné aux entraîneurs et entraîneures est un excellent fondement pour la formation des entraîneurs et entraîneures en matière d’éthique, et les politiques internes des association peuvent offrir une orientation supplémentaire pour ce qui est des comportements, mais que fait-on de plus pour parfaire nos connaissance et influencer nos actions?
Formation sur le respect
Hockey Canada a mené le bal en offrant une formation supplémentaire en matière d’éthique dans le cadre de son programme En parler! Agir maintenant! lancé en 1997. Ce programme a graduellement disparu et a été remplacé par une série de programmes de formation développés par Respect Group. Le groupe a été fondé en 2004 par Sheldon Kennedy et Wayne McNeil, et a commencé à offrir le programme Respect et sport en 2006. Il offre aussi d’autres modules, dont Respect au travail et Respect et sport pour les parents. Le module Respect et sport fournit aux entraîneurs et entraîneures les outils de formation pour devenir des dirigeants mieux axés sur les enfants et des modèles, et forme les entraîneurs et entraîneures sur les moyens de prévenir l’intimidation, le harcèlement, l’abus et la discrimination.
Certaines associations, dont l’Association de hockey mineur de l’Ontario, ont pris des mesures pour rendre ces programmes d’accréditation obligatoires pour leurs participants et leurs parents. Wayne Mitchell précise les bienfaits d’imposer ces programmes :
« Plusieurs organismes ignorent complètement le nombre d’incidents qui surviennent en leurs rangs. Respect et sport est un programme de prévention qui encourage la dénonciation des incidents qui surviennent. Le programme a pour but d’inculquer une connaissance de base à l’échelle du sport. Ce but ne peut être atteint que si les organismes rendent cette formation obligatoire. Elle ne peut pas être facultative. »
Certains clubs se sont donné comme mission d’éduquer les parents sur le rôle qu’ils jouent dans la création d’un environnement positif. C’est encourageant! Le club de soccer d’Ottawa-Ouest, le deuxième plus grand club de soccer au pays, a produit une vidéo pour sensibiliser les parents à ce que les enfants aiment le plus de la pratique du sport et aux obstacles à leur plaisir. Les commentaires des téléspectateurs suggèrent d’habiliter les parents et les athlètes à dénoncer la minorité vocale qui utilise des moyens dépassés pour motiver les enfants.
Une stratégie durable
L’analyse de la situation passée et de la situation actuelle en matière de harcèlement dans le sport en ce qui a trait au participant révèle que nous avons connu des succès modérés, quoique fragmentés. Les organismes de sport possèdent des politiques et des directives en matière de comportement, et les entraîneurs et entraîneures (car ce sont eux qui ont le plus de contact avec les participants) sont tenus de détenir une certification et une formation de base, la vérification des antécédents judiciaires est devenue partie intégrante du processus de sélection, et il est possible d’obtenir une formation complémentaire en comportement éthique.
Qu’en est-il du harcèlement à l’extérieur du terrain de jeu? Il n’existe aucune formation obligatoire pour les particuliers (malgré Respect au travail offert par Respect Group) et les politiques et codes de conduite peuvent mentionner le directeur, un employé ou un autre bénévole, mais l’accent n’est certainement pas mis sur le participant. La dynamique du pouvoir (p. ex., superviseur-subordonné et entraîneure-chef-entraîneur-adjoint) retient peu d’attention et il n’existe aucun signe de l’existence d’une démarche coopérative durable pour lutter contre le harcèlement dans le sport (à tous les niveaux).
Les efforts fragmentés développés à différents niveaux par les différents organismes de sport sont des éléments de la grande lutte contre le harcèlement. Nous avons l’occasion de créer une stratégie nationale efficace et durable afin d’éliminer complètement le harcèlement dans le sport canadien. Quelle est la prochaine étape?
Le prochain billet de blogue (publié à la fin de février) se penchera sur les idées pour l’avenir et le travail collectif que nous pouvons entreprendre pour lutter contre le harcèlement dans le sport sur le terrain et au travail dans le sport. Nous pèserons le pour et le contre des différentes démarches et appliquerons les enseignements tirés de nos succès et de nos échecs passés. Nous nous entretiendrons avec des chefs de file proactifs du secteur du sport et recueillerons les conseils d’experts. En dernier lieu, nous lancerons un appel à l’action. Nous solliciterons votre opinion sur les moyens de créer et de maintenir le rythme d’un effort coordonné pour éliminer le harcèlement dans le sport.
Avez-vous des commentaires à nous faire? Faites-les parvenir à [email protected].
Pour plus de renseignements, communiquez avec :
Lorraine Lafrenière, ACE, au 613- 235-5000, poste 2363 ou 613-769-6772
Dina Bell-Laroche, Sport Law & Strategy Group, au 613-591-1246
Karin Lofstrom, ACAFS, au 613-562-5667
Paul Melia, CCES, au 613-521-3340, poste 3221