Une série de blogues sur le harcèlement dans le sport - Premier blogue : Prendre du recul

Avec cette série de blogues sur le harcèlement dans le sport en quatre parties, nous avons l’intention d’examiner le passé, d’évaluer le chemin parcouru et de tracer une voie à suivre qui aborde le harcèlement, tant sur l’aire de jeu qu’à l’extérieur. Les événement importants qui sont survenus dernièrement dans la société canadienne – allant du comportement déplacé de membres du Parlement aux affirmations scandaleuses à l’égard de Jian Ghomeshi de la CBC, en passant par Marcel Aubut et le Comité olympique canadien (COC) – nous ont montré que le harcèlement n’est pas un problème qui se limite à l’aire de jeu : il est également présent dans nos bureaux et nos salles de conférence.

Au cours des deux dernières décennies, le milieu sportif canadien a dû se débattre avec le problème du harcèlement dans le sport et nous nous rendons compte, tandis que nous prenons du recul aujourd’hui et que nous évaluons notre parcours, que nous avons encore beaucoup de chemin à faire. Qu’avons-nous fait dans le milieu sportif dans le passé? Que faisons-nous maintenant? Que devrions-nous faire à l’avenir?

Le Centre canadien pour l’éthique dans le sport (CCES), l’Association canadienne pour l’avancement des femmes, du sport et de l’activité physique (ACAFS), l’Association canadienne des entraîneurs (ACE) et le Sport Law & Strategy Group (SLSG) se sont associés afin de trouver des réponses à ces trois questions dans le cadre d’une série de blogues en quatre parties qui seront publiées par les quatre partenaires au cours des prochains mois. Nous vous invitons à nous faire part de vos commentaires (par courriel à [email protected]). Nous publierons les commentaires clés, les points à débattre pour les discussions à venir ainsi que les points susceptibles de faire l’objet de mesures de suivi dans le quatrième et dernier billet de blogue, qui prendra la forme d’un « appel à l’action ».

Premier blogue : Prendre du recul

Ce billet de blogue consiste principalement en une rétrospective de ce que nous avons fait dans le sport canadien pour diminuer les incidents de harcèlement, d’abus, de violence et d’intimidation. Les premiers efforts se sont penchés sur le harcèlement dans le sport dans une optique qui tient compte de la différence entre les sexes – dont le premier cas important a été relaté lors de la diffusion, en 1993, d’un court documentaire, à l’émission the fifth estate de la CBC, dans lequel des athlètes féminines dans les disciplines de la natation, de l’aviron et du volleyball affirmaient être harcelées par leurs entraîneurs. En 1994, un sondage réalisé auprès de 266 athlètes de calibre national a révélé que 22,8 % des répondants avaient eu des rapports sexuels avec des personnes qui étaient en position d’autorité par rapport à eux dans le domaine du sport. L’ACAFS a réagi en réalisant la meilleure des premières publications orientées sur le harcèlement, intitulée Harassment in Sport: A Guide to Policies and Procedures and Resources (1994), qui a été rédigée, en partie, par Rachel Corbett (cofondatrice du Sport Law & Strategy Group).

Le début des années 1990 a été ponctué par la formation du « Regroupement des organismes contre le harcèlement et les abus dans le sport » (un collectif d’organismes de sport) ainsi que par la publication de différentes ressources qui visaient à diminuer le harcèlement dans le sport. Le Regroupement a mené les efforts déployés pour concevoir : un site Web qui n’existe plus (vous pouvez consulter une version archivée de 1998), des politiques génériques sur le harcèlement que les organismes nationaux de sport (ONS) devaient adopter conformément aux exigences de Sport Canada, une ligne d’information sur le harcèlement ainsi que d’autres ressources éducatives qui ont été conservées dans un registre sur le site Web.

Sheldon Kennedy – notre point de non-retour

Même s’il était déjà établi que des filles et des femmes avaient subi du harcèlement dans le sport, ce n’est pas avant 1997, lorsque le joueur de la LNH Sheldon Kennedy a révélé qu’il avait été abusé sexuellement par son entraîneur, que le milieu du sport canadien a commencé à regarder de plus près les problèmes de maltraitance des athlètes. Un plan d’action a été dressé en 1998 et Hockey Canada, conjointement avec la Croix-Rouge canadienne, a conçu le guide En parler!... Agir maintenant! (qui est archivé ici).

Cette ressource a jeté les bases de la norme pour les efforts d’intervention et de prévention contre le harcèlement que nous suivons encore aujourd’hui. Par exemple, le chapitre La présélection du personnel de cette ressource décrivait comment séparer les postes du personnel qui présentent un « faible risque », un « risque moyen » et un « risque élevé » – un processus qui fait maintenant partie de la présélection courante dans le sport. Dans le premier chapitre de cette ressource, on suggère également deux approches pour élaborer des politiques sur le harcèlement et les abus – en intégrant des codes de conduite et des politiques disciplinaires OU en créant une politique distincte sur le harcèlement.

Les organismes ont effectivement adopté différentes approches stratégiques (dont Sport Canada, qui exigeait, à une époque, que les organismes nationaux de sport (ONS) aient une politique autonome sur le harcèlement afin de recevoir du financement), mais nous savons qu’un code de conduite intégré et exhaustif jumelé à une politique sur les mesures disciplinaires et les plaintes constitue l’approche à privilégier. Rachel Corbett a écrit sur les raisons de cette préférence ainsi que sur les changements qu’elle a observés entre 1994 et 2012 dans les démarches des organismes pour contrer le harcèlement et les abus.

À la fin des années 1990, les politiques autonomes sur le harcèlement et les abus comportaient la création de postes d’agents de lutte contre le harcèlement, qui étaient des personnes nommées par le conseil d’administration dans le but de devenir le point de contact pour les cas de harcèlement au sein de chaque organisme de sport. Les agents recevaient une formation dans le cadre d’ateliers sur le harcèlement, mais plusieurs d’entre eux se considéraient tout de même sous-qualifiés en raison de la complexité du sujet, de leur manque d’expérience et des conséquences graves des erreurs. Les agents de lutte contre le harcèlement ont également été chargés d’enquêter sur les plaintes pour harcèlement et ont été confrontés à des obstacles allant de la confidentialité à l’honnêteté. Bien que certains clubs aient conservé le poste d’agent de lutte contre le harcèlement (et même si Sport Canada exigeait encore récemment que les organismes maintiennent cette fonction pour obtenir du financement), cette notion dépassée est tombée en désuétude au même titre que les politiques autonomes sur le harcèlement.

En 1997, l’Association canadienne des entraîneurs a produit Power and Ethics in Coaching (description archivée, en version numérisée dans Unit III: Boundaries). Cette ressource se penchait sur la dynamique du pouvoir dans la relation entre l’entraîneur et l’athlète ainsi que sur les conséquences et les résultats liés à l’abus de cette dynamique. Près de vingt années plus tard, en raison de la situation de Marcel Aubut, la médaillée olympique en ski acrobatique Jennifer Heil a revendiqué une conversation à l’échelle nationale sur le pouvoir et l’abus en affirmant : [Traduction] « Nous devons vraiment profiter de cette occasion pour examiner minutieusement l’abus de pouvoir à plusieurs échelons et pour faire un examen de conscience. » Il est intéressant de noter que les ressources nécessaires pour gérer les problèmes de ce genre étaient déjà disponibles en 1997, ce qui indique que les ressources ne suffisent pas à elles seules pour mettre un terme à l’abus de pouvoir.

Que s’est-il passé depuis la fin des années 1990? Pourquoi n’avons-nous pas procédé à une mobilisation plus proactive afin de faire en sorte que le sport offre un environnement sûr, accueillant et respectueux, tant sur l’aire de jeu qu’à l’extérieur?

Rapport du Secrétariat Sport pur : une analyse de la situation et une évaluation des besoins en matière de harcèlement

Au début des années 2000, le Regroupement des organismes contre le harcèlement et les abus dans le sport était dissout et son site Web sur le harcèlement dans le sport était désactivé. En 2003, par contre, le CCES et le Secrétariat de l’éthique ont réuni des intervenants en vue d’un symposium Le sport que nous voulons dans le but d’élaborer une stratégie nationale pour un sport canadien fondé sur des valeurs (rapport du Symposium). Sport pur est le fruit de ces efforts tout comme les principes Sport pur. Plus important encore, l’un des principes est : « Respecte les autres : Manifeste du respect à l’égard de quiconque est engagé dans la production d’une expérience sportive, tant sur l’aire de jeu qu’à l’extérieur. »

En 2004, le Secrétariat Sport pur a publié Harassment & Abuse in Sport: Situation Analysis & Needs Assessment, rédigé par Tom Kinsman. Fondé sur des entrevues réalisées avec des intervenants clés du milieu sportif, ce rapport exhaustif a permis de cerner les points préoccupants et les besoins principaux suivants :

  • Les difficultés occasionnées par la dissolution du Regroupement et la fin du site Web sur le harcèlement dans le sport. Pourquoi a-t-on permis que ce site Web devienne inactif? Des efforts s’avèrent nécessaires pour accroître l’accessibilité, la fréquence et la pénétration des activités et des ressources existantes.
  • La nécessité de faire appel à des experts pour l’élaboration et la mise en œuvre des politiques sur la conduite et le harcèlement
  • Une plus grande sensibilisation au bien-fondé de la présélection (notamment des vérifications des casiers judiciaires)
  • La constatation que les politiques ne sont pas suffisantes – une stratégie de lutte contre le harcèlement et les abus s’impose pour soutenir les politiques – les politiques sont un point de départ.

Une lecture globale du rapport Kinsman donne à entendre que la majeure partie des efforts déployés dans le sport se sont concentrés sur le participant – avec la situation de Kennedy (l’entraîneur ou le bénévole qui abuse d’un athlète plus jeune) qui encadre la plupart des initiatives depuis 1997. En fait, l’un des objectifs mentionnés dans le Cadre de responsabilité de Sport Canada pour les organismes nationaux de sport de 2003, le précurseur du Cadre de financement et de responsabilité en matière de sport (CFRS), faisait allusion de manière explicite aux participants de la façon suivante :

« L’équité dans l’objectif sportif : Créer et maintenir un environnement sportif qui respecte les principes éthiques les plus nobles en veillant à ce que les participants soient traités avec équité et respect. »

Dans le même ordre d’idées, la Politique canadienne du sport 2002 (PCS 2002) énonçait une vision élargie du sport pour les dix prochaines années. Cette vision consistait, en partie, à assurer un environnement sportif centré sur les athlètes et exempt de harcèlement : [Traduction] « Le comportement éthique dans le sport implique la promotion de la santé et de la sécurité des athlètes, une lutte vigoureuse contre le dopage, le harcèlement, les abus et la violence ainsi qu’une équité procédurale et un processus décisionnel transparent. » La PCS 2002 promettait également d’adopter la Stratégie canadienne sur l’éthique dans le sport : énoncé de politique (2002), qui comptait trois grands objectifs, mais qui comportait un énoncé de vision en 12 points qui ramenait la focalisation du comportement éthique essentiellement sur le participant.

Buts :

  • diminuer et prévenir les comportements contraires à l’éthique dans le sport
  • accroître le comportement éthique dans le sport
  • créer et maintenir un environnement propice à un comportement éthique dans le sport canadien

Vision :

  • Les personnes qui pratiquent une activité sportive et physique le font en respectant les principes éthiques les plus nobles.
  • Les personnes qui pratiquent un sport reçoivent, de la part des autres athlètes, des entraîneurs et des officiels ainsi que des parents ou des tuteurs et des spectateurs, un traitement équitable et éthique dans un environnement sportif sûr et accueillant, exempt de harcèlement et d’abus.

Une stratégie pour aller plus loin que l’aire de jeu

Si l’incident de Sheldon Kennedy a agi comme un catalyseur pour l’adoption d’une orientation axée sur les athlètes à l’égard du harcèlement dans le sport, la situation de Marcel Aubut engendrera-t-elle une focalisation sur les pratiques respectueuses et sûres dans le milieu de travail? Nous voyons déjà des exemples dans d’autres secteurs de la société canadienne. L’élargissement des définitions juridiques du harcèlement entre le milieu des années 1990 et 2015 a permis à cinq provinces de renforcer leurs définitions du harcèlement et de l’intimidation au travail. L’Ontario, en particulier, a pris dernièrement l’initiative de publier un plan d’action contre le harcèlement à caractère sexuel et a promis d’apporter des mises à jour précises à sa Loi sur la santé et la sécurité au travail qui conféreront des obligations supplémentaires aux employeurs afin de mieux protéger les employés.

À l’heure actuelle, le milieu sportif est-il en mesure de réagir à ces derniers développements? Comment nos politiques sont-elles communiquées et mises sur pied? À quoi ressemblent les mesures et les procédures de prévention? Compte tenu du regain d’intérêt pour ce sujet, quelle est la responsabilité du milieu sportif pour faire en sorte que la sécurité s’étende en dehors de l’aire de jeu jusqu’aux bureaux de la direction? Sommes-nous prêts à aller plus loin que la gestion guidée par des objectifs afin d’épouser une philosophie de la gestion qui repose sur des valeurs et un comportement éthique?

En 2004, le rapport Kinsman donnait à entendre qu’il n’y avait pas de campagne transcanadienne apparente destinée à accroître la sensibilisation à l’importance d’un environnement sportif sûr et accueillant. Le bon travail que nous avons accompli dans le passé (les politiques sur le harcèlement, les principes Sport pur, les objectifs généraux pour un comportement éthique, etc.) n’était manifestement pas suffisant pour mettre un terme au harcèlement dans le sport. Dans un article affiché plus tôt ce mois-ci, le joueur de la LNH Patrick O’Sullivan a pointé du doigt le pouvoir des témoins qui auraient pu lui éviter les abus dont il a souffert pendant des années dans son enfance. Nous devons tous travailler ensemble afin de provoquer un changement systématique.

Dans notre prochain bulletin de blogue (qui sera publié à la fin du mois de janvier), nous allons explorer les moyens que prennent les organismes actuellement pour lutter contre le harcèlement dans le sport – dans l’aire de jeu comme dans la salle de conférence – et nous allons déterminer si ces mesures répondent aux exigences juridiques de base. Nous allons passer en revue les ressources actuelles et déceler les lacunes possibles dans notre démarche. Enfin, nous allons nous entretenir avec quelques intervenants qui ont vu l’évolution de nos efforts, nos changements d’attitudes ainsi que les obstacles possibles pour assurer un environnement respectueux tant sur l’aire de jeu qu’à l’extérieur.

Avez-vous des commentaires à cette étape-ci? Faites-les parvenir à [email protected]

Pour obtenir les coordonnées d’autres personnes-ressources :

Lorraine Lafrenière, ACE au 613 235-5000, poste 2363 ou au 613 769-6772
Dina Bell-Laroche, Sport Law & Strategy Group au 613 591-1246
Karin Lofstrom, ACAFS au 613 562-5667
Paul Melia, CCES au 613 521-3340, poste 3221