Pourquoi la communauté sportive canadienne ne prend-elle pas la manipulation de matchs au sérieux?

23 avril 2020

Jeremy Luke, directeur principal, Intégrité du sport, CCES

Au Canada comme partout dans le monde, les compétitions sportives ont été annulées, suspendues ou reportées dans un effort pour stopper la propagation de la COVID-19. La pandémie complique la gestion des activités, mais un effet de l’absence de compétitions, c’est qu’il ne peut y avoir de manipulation de matchs associée aux paris sportifs. Par conséquent, les athlètes sont temporairement protégés des dangers qu’implique la manipulation de matchs pour leur santé et leur sécurité. Toutefois, lorsque les compétitions reprendront, ce problème refera surface, tout comme la menace qu’il pose pour l’intégrité du sport et la sécurité des athlètes.

L’an dernier, le Centre canadien pour l’éthique dans le sport (CCES) et McLaren Global Sport Solutions (MGSS) ont coprésenté le tout premier symposium national sur la manipulation de matchs et les paris sportifs. De nombreux participants ont décrit la manipulation de matchs comme un tsunami qui se dirigeait droit vers le Canada après avoir balayé l’Europe et jugeaient qu’il était grand temps que les dirigeants sportifs canadiens se penchent sur la question et en évaluent les conséquences sur la sécurité de nos athlètes. 

On comptait parmi les participants des experts de renommée mondiale qui ont expliqué à la communauté sportive canadienne dans quelle mesure la manipulation de matchs et les paris sportifs avaient cours au Canada et dans le reste du monde, les stratégies de pratiques exemplaires pour atténuer les risques associés à ces menaces et les mesures que doit prendre le Canada pour protéger ses athlètes. Comme une année s’est écoulée depuis le symposium, l’heure est au bilan : 

  • Le 2 octobre 2019, le CCES et MGSS ont publié le Livre blanc sur la manipulation de matchs et les paris sportifs qui présente d’importantes mesures que le Canada devrait prendre.
  • Aux États-Unis, le marché des paris continue de s’ouvrir dans 17 États, qui autorisent maintenant les paris sportifs simples (seulement en anglais).

  • La Convention sur la manipulation de compétitions sportives du Conseil de l’Europe, connue sous le nom de Convention de Macolin, continue de gagner en popularité : 38 pays l’ont signé et 6 l’ont ratifié
  • Certains pays, dont l’Australie et la Finlande continuent de développer des organismes nationaux d’intégrité du sport afin de lutter contre la manipulation de matchs, ce qui s’accompagne d’un soutien gouvernemental et de mesures législatives. 
  • Le Comité international olympique continue de mettre en œuvre et d’appliquer son code sur la manipulation de matchs, comme le font plusieurs des fédérations internationales.
  • Le 25 février dernier, un projet de loi émanant d’un député visant à modifier le Code criminel afin de permettre les paris sportifs simples au Canada a été déposé à la Chambre des communes. Si ce projet de loi est adopté, il sera impératif d’y enchâsser des approches exhaustives pour atténuer les risques associés à la manipulation de matchs pour les athlètes.

Malheureusement, on constate toujours un manque d’intérêt et d’action de communauté sportive canadienne pour résoudre ce problème. Personne ne remet en doute le fait que la manipulation de matchs peut porter gravement atteinte à l’intégrité du sport. Malgré les risques connus de cette pratique pour la sécurité de nos athlètes, l’existence de pratiques exemplaires et d’une convention gouvernementale internationale à laquelle ont adhéré de nombreux pays (et qui est ouverte à la signature de tous les pays dans le monde), la communauté sportive canadienne conserve son approche attentiste. 

Durant le symposium, certains ont fait valoir que seul un important scandale au Canada, semblable au scandale de dopage de 1988, donnerait l’impulsion nécessaire à la prise de mesures strictes dans ce domaine. Dans l’intérêt de la sécurité des athlètes canadiens et de l’intégrité de notre système sportif, espérons qu’ils se trompent.