Jouer blessé

13 juin 2019

Par Paul Melia, président-directeur général du CCES

Zdeno Chara a disputé la finale de la Coupe Stanley en dépit d’une mâchoire fracturée et ligaturée. Kevin Durant, lui, est revenu d’une blessure pour jouer le cinquième match de la finale de la NBA. Le comportement de ces deux joueurs nous amène à nous poser d’importantes questions sur le fait de pratiquer un sport blessé.

Dans le sport professionnel, nous louons le « leadership » et le « courage » de ceux qui font fi de la douleur et risquent d’aggraver leurs blessures pour le bien de l’équipe. Mais peut-on vraiment parler de leadership? Ces joueurs sont-ils vraiment courageux? Ou s’agit-il plutôt d’un comportement téméraire aux conséquences potentiellement graves?

Quand on y pense, les équipes de sport professionnelles sont des employeurs et les athlètes, leurs employés. Ces équipes ne doivent-elles pas respecter un devoir de diligence afin de protéger la santé et la sécurité de leurs travailleurs? En fait, un employeur faillit à son devoir de diligence s’il ne fait pas tout en son pouvoir pour protéger son employé. Pourrait-on dire que c’est le cas des Bruins de Boston et des Warriors de Golden State? Les équipes et les joueurs justifient ces situations par des circonstances exceptionnelles, qui ne s’appliquent pas à la grande majorité des personnes qui pratiquent un sport.

Toutefois, quel message les journalistes et commentateurs envoient-ils à nos jeunes sportifs lorsqu’ils glorifient les joueurs qui jouent malgré une blessure? Nous connaissons l’influence que peuvent avoir les athlètes professionnels sur nos enfants. Mais il faut se demander, alors que nous tentons de changer la culture du sport au Canada pour le rendre plus sécuritaire et placer les valeurs au cœur de l’expérience sportive, si les ligues professionnelles ne sapent pas nos efforts. Le principe Sport pur de « Garde une bonne santé » nous encourage à équilibrer la santé physique et mentale avec les autres principes pour le sport, tels que la recherche de l’excellence, mais ces exemples exposent les enfants à une culture qui valorise la victoire plus que la santé et la sécurité des athlètes.

Mais en fait, un athlète qui joue dans de telles circonstances risque de subir une autre blessure. C’est ce qu’on appelle parfois le syndrome de Dizzy Dean. Dizzy Dean était un lanceur de baseball professionnel, membre du Temple de la renommée, qui est revenu trop tôt d’une blessure avant d’en subir une deuxième qui a mis fin à sa carrière. Bon nombre d’athlètes ont dû prendre leur retraite prématurément, car ils ont joué blessés ou sont revenus au jeu avant que leur blessure ne soit complètement guérie. C’est particulièrement vrai pour les athlètes qui souffrent de lésions cérébrales en raison des nombreux coups à la tête qu’ils ont reçus.

C’était donc tristement ironique qu’un message d’intérêt public sur la Loi Rowan ait été diffusé lundi dernier, lors du match des Raptors, peu de temps après que Kevin Durant ait dû être accompagné pour quitter le terrain, semblant avoir subi une blessure plus grave que celle avec laquelle il composait au début de la partie. La Loi Rowan, la nouvelle loi de l’Ontario sur les commotions cérébrales et la sécurité, est ainsi nommée en l’honneur de Rowan Stringer, une joueuse de rugby de niveau secondaire décédée en mai 2013 après avoir subi deux commotions dans la même semaine.

La publicité diffusée lors du match des Raptors semble d’abord inciter les athlètes à tout risquer lorsqu’ils pratiquent un sport, mais on voit ensuite que l’athlète qui joue malgré les blessures en subit d’autres encore plus graves. La publicité se conclut avec le message « Ne risquez pas tout ».

Voilà un message que les équipes et athlètes professionnels feraient bien d’écouter.